Par Wilfried Mwenye *
Vertigo
Cédez au vertige qui découle de l’ascension du Mont Fébé, la colline du vent. Ou encore, succombez à la sensation d’apesanteur d’un ascenseur qui vous porte sur la terrasse de l’un des plus hauts immeubles de notre capitale. Une fois posé sur les hauteurs et passé le malaise, c’est avec ravissement je l’espère, que vous verrez la cité-capitale se dérouler sous vos pieds. A ce spectacle, il vous viendra certainement, l’idée de décrypter la logique de l’occupation culturelle de l’espace (proxémie) urbain qui s’étale aux quatre horizons. Des clés, il vous en faudra. Et bien sûr, c’est à un exercice de lecture d’un autre genre que vous souhaiteriez vous livrer.
Tentative légitime. Puisque la ville, depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, est devenue, pour parler comme Roland Barthes, un idéogramme. Et Bertrand Westphal de dire, « on lit dorénavant la ville ». Ainsi donc, parcourir la ville par l’observation intelligente, c’est mobiliser le même arsenal cognitif que celui requis pour un arpentage livresque.
Devenue livre, la ville s’écrit en mode volumique. Elle devient le lieu où le sens emprunte les trois dimensions qui s’offrent à l’intelligence immergée dans des aspérités signifiantes. C’est donc dire que l’arsenal cognitif, déployé pour parcourir un texte livresque, est désormais le même que celui qui s’exprime en relief.
La lecture de la ville se prête à des égarements, à des points d’ancrage, aux stations de méditation pour autant que sa trame dialectique nous y convie. Mais la ville-livre est l’émanation d’un imaginaire qui puise dans les interactions qui lient ses composantes.
Aussi, de la terrasse, regagnez l’intérieur de l’immeuble par l’escalier. Furetez du côté des cages d’escalier, jetez-y un œil. Une fois au sein du bâtiment, allez ensuite du côté des toilettes et faites pareil. Ressortez vers la façade et laissez-vous absorber par la pulsation de son dessein. Mesurez le décalage entre la prestance de la façade et la tenue des coins largués à l’abri des regards. Vous aurez, par ce bref exercice, tiré un cliché typique de notre rapport à la ville. Un raccourci de notre être urbain.
Dans l’Afrique des villages, Jean-Marc Ela déjà, relevait les chevauchements proxémiques et les survivances des mœurs villageoises dans l’espace urbain.
Comment comprendre en effet le pouvoir de la ville dans sa dynamique aliénante et la résistance de ses résidents en provenance des zones rurales ? La ville étant par essence un cadre exogène.
Je recommandais de se livrer à un exercice qui mettrait en évidence deux situations qui traduisent notre stade d’assimilation du cadre urbain. De manière caricaturale, les cages d’escaliers sont vite transformées en foutoirs lorsque ce n’est pas simplement en poubelles, et les toilettes de services publics, très souvent en ‘‘terroristes’’ du soulagement des besoins pressants.
Ces coins du rejet, constitués comme tels, traduisent un décalage entre certains usages ruraux plus flexibles voire laxistes et les exigences urbaines soumises à des règles strictes qu’imposent les modes d’emploi des équipements et l’hétérogénéité des usagers. La ville est un gigantesque organisme dont les rouages, artificiels, transforment ses résidents en machines biologiques. D’où la nécessité de se conformer à ses modes d’emploi.
Ces bévues comportementales qui sont légion dans l’espace public, sont à lire, quoi qu’inconscientes pour la plupart, comme une dissidence ontologique qui se rit de l’empressement des pouvoirs publics à adopter, puis à imposer des modèles sans préparer les esprits à une négociation avec les nouveaux usages en vue d’une assimilation future idoine. Ce manquement rend le temps d’accommodation long et coûteux. Il heurte les anciens schèmes stratifiés par des mythes qui eux aussi, régissent les usages proxémiques.
Aussi, peut-on apprendre que certains rois africains dans l’exercice de leur règne, disposaient de deux types de glèbes. L’une, disciplinée par un travail soigné et l’autre laissé dans un abandon apparent. Cette administration antagonique de l’espace visait à maintenir présent à l’esprit du monarque, la dialectique ordre-chaos. Ne doit-on pas voir dans le comportement décrié plus haut, la survivance d’un tel conditionnement ?
Le conte de la plasticité
Il y a une dialectique de la ville moderne qui se dégage et se décrit lorsque l’on lit ses marquages spatiaux, ses pulsations diurnes et/ou nocturnes. Mais surtout la scénographie qui orchestre les mouvements dans l’espace. Que raconte la plasticité d’une ville comme Yaoundé?
Au début de cette réflexion, je suggérais un exercice de lecture de l’espace en immersion dans celui-ci. Le déchiffrage qui émane d’un tel exercice révèle, avec le jeu d’échelle, des îlots de chaos au milieu de la discipline spatiale. Au sein de l’immeuble, ces îlots sont représentés par les cages d’escalier et les toilettes. En réduisant l’échelle, il va sans dire que dans les bureaux également, quelques espaces sombres sont voués aux mêmes sorts. Sur une échelle plus grande, ce sont les bidonvilles qui remettent en cause la logique urbanistique.
A Yaoundé, chaque quartier à son élobi (bas-fonds marécageux où nichent la plupart des bidonvilles), son îlot de chaos. On observe dans de nombreux quartiers des impostures de la forme, qui elle-même (la forme) est une transfiguration de l’égo, une illusion d’appropriation de la modernité. Esthétique de la superposition et/ou de la juxtaposition, l’agglomération des structures bâties est l’expression d’un usage mimétique des formes. Tandis que le rêve moderniste, mal assimilé, conduit plus que jamais vers des horizons vaporeux.
La cage d’escalier muée en poubelle et les toilettes publics en merdiers sur-réalistes, disent le mal-être des individus engagés dans le processus d’urbanisation. La désorganisation psychique qui s’ensuit est répercutée dans les proxémies urbaines qui, derrière les façades pimpantes, se cachent les hideux matitis (constructions vernaculaires en état de délabrement). Face à ces scénarios spatiaux, c’est bien un état mental en perte de repères qui se manifeste. La population urbaine s’accroît d’année en année mais c’est une très faible portion qui est effectivement urbanisée.
Ce n’est pas faire preuve de gaucherie rétrograde que de souligner que la logique discursive de la ville procède de celle du masque. Elle séduit et impressionne au premier abord en se présentant comme un stade d’évolution naturel de la campagne. Cependant en défaisant ses chapelets d’illusions, elle révèle par la suite chez le nouvel urbain, les réflexes proxémiques de la campagne qui, vite, deviennent obsolètes.
Dans le contexte africain, il y a a-synchronie entre la pulsation de l’espace urbain et celle de l’espace psychosomatique. Car, la ville apparaît davantage comme un espace de valorisation d’un nouveau rapport à l’économie. Ses dynamiques épousent celles de la «machine productrice des nouvelles formes d’accumulation économique» (M. Tafuri, Paris, Bordas, 1979, p.9.), auxquelles le rural en situation d’urbanité n’est pas accoutumé.
L’ironie formelle
Il y a peu, les autorités municipales, portées par l’enthousiasme, semant la détresse, entreprirent une vaste campagne ‘‘d’embellissement de la ville’’. Pour donner corps à cet élan, l’on entama le démolissage et les opérations de déguerpissements à tout va.
Il est évident que depuis lors, un certain charme s’empare de notre capitale. L’effet est encore plus saisissant lorsque l’on vient de l’arrière-pays. Yaoundé, avec ses jardins publics enclos autant que ses services publics. Ses rues électrifiées autant que ses coins chauds. Ce sont là, des signes d’une ville vibrante et trépidante qui s’est résolument lancée sur les sillons de la modernité.
Mais que nous racontent ces paraphes volumiques surgis avec enthousiasme de l’imagination d’ingénieurs hardis? Cadrent-ils avec les ressorts intrinsèques des habitants de la ville ? Sinon comment comprendre le conflit sous-jacent qui caractérise la relation des habitants avec leur ville ? Les cas manifestes sont ceux des pelouses systématiquement profanées par le tracé insolent d’un mapane qui les coupe de part en part pour aménager un raccourci ! Ou encore, l’indocilité des commerçants qui sont irrésistiblement amenés à congestionner les voies de circulation. C’est parce que la forme urbaine dans nos villes se heurte de plus en plus aux logiques sémiologiques internes. Elle s’en écarte, bousculée par la cohorte des signifiances nouvelles et des impératifs utilitaristes que charrie la modernité.
La forme se transmute pour affirmer son positionnement à un nouvel ordre de valeurs, son aspiration à une nouvelle vision de la civilisation. Derrière ce jeu de positionnement idéologique qui séquestre la forme endogène, des enjeux économiques insidieux et complexes prennent corps, impatronisent les imaginaires et signent parfois la défaite d’une résistance moribonde qui, de temps à autre, ce, par le truchement des habitudes tenaces, continue néanmoins à mener une lutte poussive.
Hélas, l’impulsion des sucs des modèles économiques nouveaux ajoutés à l’épuisement mental, en viennent à pomper complètement les derniers élans d’un souffle vital qui bientôt s’estompe en direction d’un autre temps.
Les décors de la capitale amènent tout de même à se demander à quelle dramatique urbaine sont conviées les populations ? Ont-elles conscience dans leurs déambulations quotidiennes, du langage proxémique qu’écrivent leurs corps au contact des reliefs et des contours qu’érigent les bâtisses, les avenues, les ruelles, les ronds-points et autres monuments qui ponctuent leurs déplacements ?
Il y a certainement un rituel qui sous-tend les déambulations urbaines. Il faut en cerner les logiques, pour éviter un déploiement à l’aveugle, tels des zombies largués en apesanteur dans une sphère vidée de matière grise etde substance vitale.
A Yaoundé, deux faits urbanistiques doivent attirer l’attention de l’observateur :la scénographie de la principale place des fêtes et la charte formelle des enceintes des jardins et de certains édifices publics.
La sphère qui circonscrit la place des fêtes correspond aux limites qui intègrent, le monument Dr. Jamot au Nord-Ouest, à l’Ouest le Palais des Hauts-commissaires de la République de France, au Sud le monument Charles Atangana, à l’Est les tribunes du Boulevard du 20 mai et au Nord le carrefour Warda.
Restreindre le périmètre du Boulevard du 20 mai à la piste réservée aux défilés, révèle peu de chose surtout si l’on se contente de n’y voir que l’axe qui oriente le mouvement des grandes solennités. On s’en contenterait volontiers, arguant que le sens qui en découle relève d’une simple contingence géographique. Outre cela on peut se demander, à quelle logique obéit le double invisible de cette place de fêtes?
Une interprétation des points cardinaux effectuée en marge des sens géographiques communément admis au profit des connotations idéologiques, mettrait en évidence un trope sémiologique de cette scénographie qui marque l’espace.
Les pièces significatives du décor que sont les monuments Dr. Jamot, le Palais des Haut-Commissaire, la statue de Charles Atangana, Le Boulevard du 20 mai, adossés aux points cardinaux, écrivent un discours à la fois kinesthésique et proxémique sur lequel, il est clair de voir que le pouvoir de l’autorité suprême nous vient du Nord. Les forces vives, massées à l’ombre de Charles Atangana le fidèle collaborateur de l’administration coloniale, entament toujours la procession selon un axe Sud-Nord comme pour faire allégeance, sous la radiation du Dr. Jamot vainqueur de la maladie du sommeil et dont l’action sur un plan métaphorique est assimilable à une action sonnant le glas de la léthargie.
Il est intéressant de mentionner que le Palais des Hauts-Commissaires, joint par deux ellipses imaginaires tracées chacune en direction du monument Dr. Jamot (côté Nord-Ouest) d’une part, et de la statue de Charles-Atangana (côté Sud) d’autre part, ces axes s’élancent tels des bras pour étreindre les forces vives de la nation, bloquées par les tribunes placées face Est, contraignant celles-ci à cheminer vers le Nord.
De manière caricaturale, le Sud dans la terminologie géoéconomique représente la partie du monde condamnée à subir la mission civilisatrice en provenance du Nord. Pour être précis, du Nord-Ouest, berceau de l’industrialisation et incarnation de la toute puissance mondiale. C’est elle qui jadis, entreprit de sortir le Sud de sa torpeur dans un élan de ‘‘générosité’’ séculaire.
Une telle scénographie a quelque chose de perfide ce d’autant plus que son action s’inscrit sur le champ de l’invisible. Ainsi de manière subtile, elle enferme l’imagination dans un carcan psychique qui condamne les forces vives à ne dessiner leur devenir que sous le prisme d’un tel schéma.
Les jardins publics quant à eux, sont ceints d’une clôture surmontée de pointes en forme de fleur de lys. En pénétrant ce détail, l’on découvre que sous le masque poétique de la fleur de lys (symbole de la monarchie française), se cache une réalité plus dure qu’est celle d’une arme d’escrime. Son symbolisme en fait un instrument d’honneur et de loyauté vis-à-vis de l’aristocratie. D’autres connotations en font un des signes de haut commandement militaire.
De ces clichés, sourdent des motifs formels qui empruntent aux arts décoratifs des clichés remontant à l’Ancien Régime particularisé par son déni de la citoyenneté. On est ainsi fondé à supputer qu’avec ces enclos sertis de pointes, c’est une sorte de message qui vise à maintenir l’individu épuisé dans la sphère française.
Le Piranèse, dans une lucidité enfiévrée, sut traduire avec ses carceri, cette perception carcérale de la ville que semble rééditer avec de nouvelles modalités, la charte formelle des enclos de la ville de Yaoundé. Dans son livre1 De l’architecture, Virtruve, conseillait à l’architecte un minimum de connaissances historiques afin de déterminer et de justifier en toute connaissance ses choix formels.
Notre capitale, sous l’illusion d’un embellissement, incarcère l’horizon imaginatif des populations, le confine dans un sillage qui l’arrache à son être pour l’emplir d’une étrangeté insidieuse et pernicieuse. Les effets de celle-ci enchaînent les appétences et travestissent le goût.
Aussi, penser la ville à partir d’un point d’origine corrompu, s’avère difficile. Cela devient un exercice qui dévie inéluctablement les options formelles vers des propositions qui détroussent, évident et cantonnent les aptitudes créatrices dans une complaisance stérile qui à termes, s’avèrent coupables.
C’est cette disposition psychique qui fait apparaître le cadre bâti de Yaoundé comme une agglomération de sens giclés tous azimuts ; un cumul de formes sans apparente cohérence significative. L’on y transpose des formes mal digérées dont les répercussions déteignent sur les agissements en engendrant une société aux usages désarticulés. Il ne suffit pas de revêtir l’apparence d’une chose pour prétendre en posséder l’âme !
Des hauteurs, Yaoundé est un patchwork d’influences urbaines en laquelle se dilue l’âme de ses populations voire, la sienne propre. Les lignes directrices se rompent au gré des appels d’offre sans qu’on puisse y lire avec netteté, l’idéal que poursuit son projet urbanistique en dépit de l’impérieux désir d’accéder à la ‘‘modernité’’.
Yaoundé/Ongola, le sceau du destin ?
Deux vocables désignent la capitale camerounaise. Ongola et Yaoundé. La première, ancrée dans les parlers locaux, et la seconde a fini par devenir son appellation officielle. Tous deux résonnent du timbre des langues bantou. Toutefois, leur exégèse révèle une disposition d’esprit qui situe l’étrange au centre d’une dynamique toponymique qui entérine des niveaux d’extériorité qui témoignent la posture de celui qui désigne le lieu.
Le vocable Yaoundé manifestement, est antérieur à Ongola. Cela est un fait avéré si l’on en croit Dominique Obama («Histoire de Yaoundé origine des noms des quartiers de Yaoundé», inédit) pour qui en effet le nom Messa qui, en langue Ewondo est le pluriel de « Assa », désigne le safoutier, plante fruitière domestiquée les bassa. Le site aurait préalablement été occupé par ces derniers considérés par l’auteur comme les anciens habitants de la région de Yaoundé peu après les pygmées.
Fait intéressant, le village Messa englobait les quartiers actuels de Messa proprement dit, Mokolo, Madagascar, Elig Effa. « Les Mvog Ada se sont installés au village dit Messa au niveau de l’hôpital central actuel, poursuit D. Obama. » Il est à signaler que l’hôpital en question se situe non loin du site où fut implanté le poste militaire allemand alors appelé par les populations locales Ongola, l’enceinte.
Ceci laisse supposer que les allemands prirent connaissance du site sous le nom de Yaoundé, équivalent de Messa qui renvoie à une variété de safoutier. De là, part la vulgarisation du nom diffusé par les documents. D’un point de vue local, c’est Ongola qui va se répandre chez les indigènes. Il désignera cette curiosité que représentait l’habitat du Blanc. Jadis limitée au poste militaire, cette appellation a fini par désigner dans l’imaginaire local, la ville entière caractérisée par des habitations de type européen.
De manière générale, les toponymes de la ville de Yaoundé sont le témoignage de rencontres à diverses échelles : endogène, exogène. Ils dessinent la perspective d’un destin dont les traits relèvent à la fois de l’anthropologique et de l’historique de sorte à constituer un terreau fécond pour l’édification d’une métaphysique urbaine adaptée.
L’urbigénèse de Yaoundé met en évidence de nombreux apports exogènes. Cela dénote une certaine ouverture de cet espace habitacle. Elle s’appréhende non seulement à partir de sa double nomination, mais aussi, par les multiples vicissitudes contenues dans les relents onomastiques des lieux qui émaillent ses sites.
Il suffit en effet d’être attentif à la topologie et à la toponymie de Yaoundé pour lui construire une vocation, avec les lignes d’une vision d’ensemble en attente d’une affirmation concrète et assumée.
Malheureusement, dans la frénésie moderniste, on crut bon de brimer ce qui restait des architectures vernaculaires, les reléguant comme pour se dérober d’une honte, à l’arrière des buildings aux courbes étranges et mystérieuses.
Un processus de modernisation bien mené gagnerait à inscrire ces technologies dans une logique d’adaptation qui exploite les opportunités techniques et technologiques de l’heure.
Une mission de promotion des matériaux locaux (MIPROMALO) il est vrai, a vu le jour. Mais son action n’est pas encore suffisamment visible chez le commun des citoyens tant qu’une consommation manifeste des résultats issus de ses laboratoires n’est pas véritablement opérée par l’État.
Yaoundé, de par ses dynamiques internes est vouée au cosmopolitisme. Lequel se doit cependant d’être pensé et maîtrisé par un alliage des contraintes urbanistiques avec les pulsations anthropologiques inhérentes au rêve d’unité nationale.
Les capitales se doivent d’être le reflet d’une aspiration consignée dans un projet étatique légitimement promu. Elles doivent concrétiser dans l’espace, le mythe dont elle se veut la tête du corpus.
A ce propos, il est tentant d’évoquer ici l’expérience de Brasilia, la capitale fédérale du Brésil, construite à partir de 1957. Le plan d’urbanisme de cette ville évoque la forme d’un oiseau ou d’un avion. Et de fait, il imprime une scénographie qui emprunte au thème aviaire ou aérien. La scénographie en question évoque indubitablement les idées successives d’élévation, de flexibilité et de légèreté que transcrivent habilement les édifices publics pour la plupart, construits par Oscar Niemeyer. Sous un angle socio-politique, la vocation de Brasilia était de drainer les brésiliens vers le centre du pays jadis abandonné au profit des villes balnéaires comme Rio de Janeiro déjà surpeuplées.
La ville de Washington également, a inscrit dans la plasticité sa vocation : « offrir l’image du point fixe des États-Unis, symbole par excellence de la décision populaire qui a donné naissance à l’Union. » (M. Tafuri, 1979, p.36.) Manfredo Tafuri fait bien de signaler que ledit projet, exposé en 1902 sous la houlette de la Park commission, souleva un grand intérêt dans le public. C’est donc dire l’intérêt légitimant d’associer le peuple dans un projet qui l’engage. C’est fort de considérations semblables que l’espace dévolu à la capitale, se peuple souverainement d’une foule de tabous, lesquels prenant du relief, irradient et structurent la conscience collective.
Yaoundé est une ville génétiquement portée sur l’ouverture. Il suffit de feuilleter les pages les plus enfouies de ses imaginaires pour s’en convaincre. Cet effort, accouplé au projet de construction de l’unité nationale, fonde à croire que nos architectes-urbanistes, tiennent là, un matériau idéologique pour déterminer non seulement la scénographie déambulatoire de la capitale, mais aussi de quoi modeler au travers des œuvres d’art, des formes qui sauraient revêtir cet idéal qui couve en chacun de nous et qui s’appelle unité nationale.
* Wilfried MWENYE est Coordonnateur de l’organisation Voi(e)x esthétiques et Chercheur associé au GRESDA
NB: Cet article a par ailleurs été publié dans un numéro du magazine Mosaïques au Cameroun