Home > Publications > Opinions & chroniques > NDOP, ETC. À LA CROISÉE DES VENTS CONTRAIRES DE SES FILS
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par Wilfried MWENYE*

Questionnements

Nous sommes tous unanimes, il faut honorer les ancêtres. Cependant, qui sont-ils ? Quelle est la modalité d’élection des ancêtres ? La dérive tribaliste qui s’empare de notre pays ces temps-ci, est de plus en plus inquiétante. Tout le monde soupçonne tout le monde. Tout le monde accuse tout le monde. Dans ce jeu de jet du taro chaud, personne n’admet sa responsabilité. Alors, à cela, sommes-nous dignes de nous réclamer des ancêtres?

Manifestement, nous sommes devenus sourds et aveugles à tous indices laissés par les pères de notre nation. Ayons honte ! Cette fierté creuse que nous brandissons derrière le couvercle des communautés est une traitrise de notre part. Que faisons-nous du lien fédérateur qui nous a été légué et qui signe notre parcours historique ? Vraisemblablement, notre mémoire, vaporeuse, se laisse aller aux fumées vénéneuses de la haine. Toutes les formules de consécration de la fraternité choisies par nos aînés se gomment et perdent leur ancrage.

Souvenons-nous de ces vocables qui font le tissu de notre nation (Réunification, Unification et Palais de l’Unité) tous sonnent comme autant de stations de notre marche dans l’histoire. Ils sont autant de chapitres à relire. Faut-il croire que ces mots choisis par les pères de la nation sont creux et vains ? Une station, c’est un lieu d’arrêt. C’est aussi un lieu à partir duquel l’on embarque.  A ce stade de notre histoire, sommes-nous sûrs de vouloir embarquer vers un embrasement total au nom des replis communautaristes illusoires?

Les récentes attitudes posées çà et là par des compatriotes n’honorent pas la nation du moins, le projet de nation auquel on aspire. Et gardons-nous de tout zèle au nom de la communauté. Beaucoup de leurres sont entretenus par l’ignorance. Qu’il me soit permis d’évoquer deux faits essentiels et qui ont suscité des levées de passions : L’affaire du koki, et de l’étoffe ndop brûlée. A chacun de ces incidents, il ressort une tentative d’appropriation maladroite d’un fait de civilisation par les communautés auprès desquelles ces faits se perpétuent. Cela nous ramène à la question fondamentale de savoir qui sont nos ancêtres ?

Amorce de réponses

« Au nom d’appropriations maladroites et opportunistes des faits culturels, on assiste à un désir malsain d’aliéner les autres communautés de la jouissance de ces patrimoines qui de nos jours suscitent un engouement national »

Pour aborder une réponse, c’est le lieu pour moi de convier ceux qui ont posé les jalons pour asseoir sur des bases scientifiques, la consolidation du projet de nation. Je pense à Engelbert Mveng dont les travaux sur les arts africains renforcent l’idée d’un foyer commun de civilisation simplement en décryptant le langage qui en découle. Je pense également à Elridge Mouhammadou, dont les recherches sur le peuplement du Cameroun établissent des liens entre les communautés ceci, à des degrés divers. Avec lui, le phénomène des migrations serait la clé qui nous permettrait de mieux nous comprendre, de nous accepter car dans l’écheveau des migrations, nous sommes tous plus ou moins parentés. Dika Akwa lui, nous montre qu’il existait déjà une sorte de confédération entre les communautés sur le site qui allait sous la colonisation, devenir le Cameroun. Il ajoute en révélant qu’une langue liturgique, l’Ati, servait de lien entre les principales sociétés secrètes qui dirigeaient ces communautés.

Remontons le cours de l’histoire avant que les grains de la zizanie ne soient instillés parmi les communautés avec l’introduction de l’économie de traite laquelle, a facilité l’avènement de la colonisation et plus tard, rendu étrange entre elles, les membres des différentes communautés voire aliéné d’aucuns, vis-à-vis de certains usages culturels.

Or, il est établi, grâce aux travaux des linguistes tels que Wilhelm Bleek, Joseph Greenberg  que le foyer des migrations bantoues se trouve au niveau de la frontière nigero-camerounaise. Le site archéologique de Shum-Laka non loin de Bamenda, a révélé  de vestiges qui font de cette zone l’un des foyers de civilisation les plus anciens du continent.

Faisons abstraction des divers découpages administratifs (qui en réalité sont des voiles qui distordent ou opacifient les liens) et ne considérons que les hommes et leurs faits culturels. N’y a-t-il pas à voir de ce côté-là, la preuve que s’y trouvent nos ancêtres ? Il s’agit quand même de plus de 30 000 ans d’occupation humaine. De ce foyer est partie la plus grande et la plus longue migration (la migration bantoue) sur le continent il y a plus de 4000 ans. Même par un effet de reflux, on est confronté à l’évidence d’une convergence des origines.

Au nom d’appropriations maladroites et opportunistes des faits culturels, on assiste à un désir malsain d’aliéner les autres communautés de la jouissance de ces patrimoines qui de nos jours suscitent un engouement national. Toujours au nom d’une aliénation mal justifiée, on rejette des éléments de sa culture, on dénie quelque parenté avec une communauté sœur.

Distribution du peuple Bantoue en Afrique

Je rappelais que le grand groupe linguistique bantou trouve ses origines dans la région frontalière nigero-camerounaise.  Il s’est répandu d’Ouest en Est et vers le Sud en plusieurs phases et couvre plus de la moitié de la surface du continent.

Le lexique d’une langue renferme sa vision du monde. Une langue est véhicule des notions de technologie mises au point par ses locuteurs. En somme, elle reflète l’essentiel de sa civilisation.  Il va de soi que cette zone est le foyer de la civilisation bantoue.

Partant de l’hypothèse que des éléments de civilisation étaient déjà mis en place par nos lointains ancêtres, au nom de quoi ou de qui une communauté apparentée bantoue de surcroît, s’arroge-t-elle la paternité d’une recette culinaire  (le koki par exemple)? Celle-ci peut se perpétuer, se peaufiner  au sein d’une communauté, mais cela ne fait pas d’elle la propriétaire du fait culturel en question (la recette culinaire).

L’étoffe ndop qui défraie la chronique depuis de nombreuses années déjà, en raison du regain de fierté qu’il suscite au sein des communautés qui ont su en conserver  l’usage, n’échappe, lui non plus, à cette attitude négative d’exclusion envers les ressortissants des autres communautés séduites par cette étoffe séculaire et qui, par on ne sait quelle magie, leur parle aussi. Érigée comme symbole fédérateur des communautés dans les Grasslands, cette étoffe, du point de vue strict des faits de civilisation, n’en est pas pour autant sa propriété exclusive.

Des fanatiques peuvent évoquer des arguments coutumiers pour s’en adjuger la légitimité, des aliénés de bonne foi peuvent exhiber de toutes leurs forces leur mépris pour cette étoffe, mais les faits de civilisations demeurent et plaident pour une antériorité millénaire à une époque où la terminologie tribale qui nous déchire aujourd’hui n’existait pas. 

Tam-tam Beti (une ethnie du présente dans les régions du Centre, de l’est et du Sud Cameroun), échantillons échantillon d’étoffes Ndop et d’autres étoffes en usage dans les zones alentours de cross-river

C’est sans conteste à cause d’une appropriation forcenée et exclusionniste de la part des uns,  que les autres (communautés) sans doute  mues par une certaine une ignorance, rejettent et s’en prennent à ce tissu-symbole qui pourtant renferme l’un des langages graphiques les plus anciens auquel nos ancêtres les plus lointains ont recouru. Le malheureux incident survenu à Bayon par Kekem, nous le rappelle avec tristesse.

L’archéologie, la tradition orale et l’histoire au secours

Les restes humains trouvés dans la grotte de Shum-Laka révèlent, un fait assez intéressant : les types humains montrent un profil génétique toujours présent chez les Mbo et les Bangwa notamment le chromosome Y. Un autre groupe cependant indique un fond génétique proche des Baka du Cameroun ou Aka que l’on trouve en Afrique centrale. Il est établi sur la base de ces vestiges, que Shum-Laka se trouve non loin du foyer originel présumé des locuteurs bantous or, Mbo et Bangwa sont des locuteurs bantous. Ironie du sort, l’incident survenu il y a peu à Bayon par Kekem concerne des ressortissants des terroirs Mbo et bamiléké, tout comme le clivage du koki/keuka qui a opposé les ressortissants  mbo et bazou (bamiléké) quelques mois avant.

Suite à un post publié sur le mur Facebook du Fenda (Festival ndop, dérivés et accessoires) situant les origines du ndop sur les peaux d’animaux notamment celle de la panthère ou du léopard par un dignitaire Baka, certaines voix se sont portées en faux contre ce propos. De telles postures cependant ne se fondent pas sur des faits de civilisation disponibles. Le chef Baka a pleinement raison. Les données archéologiques plaident également en sa faveur, l’évolution des symboles sur l’étoffe ndop aussi.

Si l’on s’en tient à la présence des Baka dans le périmètre de Shum-Laka, il va de soi qu’ils aient cohabité avec les bantous, qu’il y ait eu des échanges. La tradition orale répand d’ailleurs que les pygmées sont les ‘‘civilisateurs’’ ou ‘‘maîtres’’ des bantous. Dans l’épopée du Mvet par exemple, il est dit qu’Akoma Mba, la figure type du processus de l’accès à l’immortalité, naît d’une mère Baka. Que comprendre par cette allégorie si ce n’est que l’on accède au statut d’Ekang, d’immortel (un peu comme ceux des académies savantes) par l’assimilation de la connaissance qui prend ici le visage de la mère dont l’origine Aka (dépositaire symbolique de la connaissance) a été conservée par la tradition orale. La langue béti en porte encore la trace à travers le vocable Akab qui renvoie à l’idée d’ignition ou de partage. Or, l’ignition dont il est question ici, réfère à la connaissance. Sa vocation par excellence de celle-ci, est la transmission donc, le partage. Ceci corrobore l’hypothèse selon laquelle les Baka seraient les maîtres des bantous. Ce que viendrait aussi renforcer la signification qu’en donne Henri Trilles pour qui, le mot Aka veut dire seigneur dans l’ancienne langue égyptienne. Les artefacts trouvés sur les lieux attestent de l’existence d’un art graphique, beaucoup plus ancien qui a perduré et dont les signes se trouvent encore utilisés et appliqués de nos jours sur les vêtements.

Démanteler le logiciel de la division

« Les symboles (graphiques ou oratoires) participent de ce type de langages qui fédèrent les hommes par-delà les apparences. »

N’est-il pas tendancieux d’activer le levier de la tribu en aggravant les différences parfois factices pour semer le grain de la division ? Agir de la sorte conduit à l’érection des fronts de haine qui épuisent les liens sociaux et dénature le grand projet qui consiste à bâtir une nation. La résurgence des clivages tribaux y compris sur des faits de civilisation qui semblent des acquis immémoriaux  dérange. Car dans le fond, rien ne justifie la volonté par certaines communautés de s’arroger la propriété, ou que d’autres s’engagent sur la voie du mépris des éléments patrimoniaux qui constituent le lit de notre unité la plus primitive. Le faire indique une profonde ignorance de notre passé lointain, une méconnaissance des dynamiques migratoire et un certain dédain pour l’héritage de nos ancêtres.

L’adoption instinctive du boubou, du bogolan, de l’obom, du raphia sont la preuve que les autres traditions vestimentaires parlent à chacun de nous. Elles émettent sans doute une énergie qui magnétise notre cortex cérébral et le met en résonance avec notre inconscient. Les ‘‘emprunts’’, désirés, maîtrisés et canalisés, ont de tout temps enrichi les communautés. L’étoffe ndop participe de cette dynamique. Elle est en cela un puissant marqueur culturel qui doit rendre fier tout camerounais.

D’aucuns objecteront, invoquant le caractère rituel de l’étoffe ndop et donc, son usage exclusif à la communauté qui a su en conserver l’usage. A ce stade, posons-nous les bonnes questions: A partir de quand devient-il rituel ? Le rituel est-il l’apanage d’une seule communauté ? Le même objet non sacralisé ne peut-il faire l’objet de rituels propres à d’autres communautés ? Ce d’autant plus que le discours symbolique porté sur ces étoffes sont aussi connus des autres communautés. Le lien linguistique n’est pas toujours la seule preuve d’une filiation. D’autres, plus puissantes existent et s’inscrivent  dans l’ordre des filiations idéologiques. Les symboles (graphiques ou oratoires) participent de ce type de langages qui fédèrent les hommes par-delà les apparences.

Spécimen ancien de togho, débris de poteries trouvés sur le site de Shum-Laka, Monolithes sculptés akwanshi-cross-river

Paix-Travail-Patrie

Les pères fondateurs de l’Etat en adoptant la devise de notre pays, ne pensaient pas si bien faire car avec la Paix, ils nous invitent à créer de façon continue, les conditions d’une vie harmonieuse. Le Travail étant le lien par lequel nous devons entretenir un effort constant susceptible d’œuvrer pour un vécu épanoui au sein de notre Patrie (de pater) qui en réalité, est la terre de nos pères (ancêtres), notre patrimoine. Gardons-nous d’exacerber les tensions intertribales au risque d’entendre sourdre du fond des âges, la terrible récrimination des ancêtres devenue voix divine : « Caïn qu’as-tu fais de ton frère Abel ? »

Remerciements: Remerciements au Fenda pour son fond iconographique

* Wilfried MWENYE est Coordonnateur de l’organisation Voi(e)x esthétiques et Chercheur associé au GRESDA. Écrivain, chroniqueur culturel, critique d’art, il a une formation en Histoire et est auteur de nombreux ouvrages en littérature général et de nombreux essais dont L’ÉTOFFE NDOP: HISTOIRE, TECHNIQUE,MÉTAPHYSIQUE ET PERSPECTIVES, paru aux éditions Livre ouvert en 2020

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